VIOLENCES de l’EXTREME-DROITE : les impasses d’une vision quantitative

VIOLENCES de l’EXTREME-DROITE : les impasses d’une vision quantitative

2025-06-19T11:48:58+02:0019 juin 2025|Catégories : À LA UNE|

par Paul Devin, président de l’IR.FSU, le 12 juin 2025

A quelle réalité renvoient les affirmations de la presse qui constatent la montée de la violence d’extrême-droite en France ? La dénoncer suppose que nous puissions la caractériser, au-delà du constat d’une évidence des faits relatés, y compris au plan international (1).

Au-delà de la quantification…

Dans un contexte général qui n’est pas celui d’un regain de la violence politique (2) et face à une quantification plutôt stable des activistes de l’extrême-droite (3), qu’en est-il de cette « montée des violences d’extrême-droite » ? Nicolas Lebourg rappelle que des chiffres largement plus conséquents ont caractérisé l’activisme d’extrême-droite des années 1950-1960 (4) et insiste sur le fait que les évolutions récentes ne peuvent être saisies par leur seule dimension quantitative (5). Il ne s’agit évidemment pas de nier la violence agie par l’extrême-droite et d’en relativiser les effets mais à trop vouloir insister sur la seule augmentation des faits, on pourrait invisibiliser ce qui constitue les facteurs majeurs d’une évolution, notamment quant aux cibles visées qui ont connu deux variations essentielles depuis le début des années 1980.

La première de ces évolutions est la modification des cibles racistes. Les travaux (6) du Centre de recherche sur l’extrémisme (C-REX) montrent que les motivations des violences de l’extrême-droite restent très majoritairement racistes (73% des actes sont exercés contre des minorités ethniques ou religieuses) mais elles s’orientent désormais essentiellement contre des personnes considérées comme arabes ou musulmanes alors que la violence de l’extrême-droite a longtemps majoritairement visé les Juifs. Nicolas Lebourg fixe clairement les lignes de cette évolution à partir des années 1980 (7) avec la succession d’une diminution des violences antisémites liée aux volontés de dédiabolisation portées par le FN puis d’un développement des actes contre les Arabes portés par un discours idéologique de risque de « grand remplacement » ou de menace sur les « valeurs occidentales ».

La seconde évolution est l’augmentation nouvelle des actes dirigés contre des opposants politiques qui, s’ils restent très minoritaires, n’en constituent pas moins une part élevée en France (8).  À la différence des violences racistes, ces actes d’opposition politique sont marqués par une organisation structurée, capable d’anticipations collectives. Quelles que soient leurs formes, ils se multiplient (9) : attaques de bars militants ou de locaux associatifs, menaces, intimidations ou harcèlements visant l’annulation de réunions ou de débats, incendies ou actes de vandalisme, violences à l’encontre d’élu·es …

D’une incapacité politique à réduire ces violences

Plusieurs éléments ont contribué à l’augmentation de ces actes. En 2013, une collusion entre les catholiques traditionnalistes et les militants d’extrême-droite au sein de la « Manif pour tous » donne une vitrine d’honorabilité à des groupes identitaires qui trouvent place dans les cortèges et ajoutent une nouvelle cible à leurs actions : les féministes. En 2022, la campagne de Zemmour fait appel à des groupes d’extrême-droite radicale qui agissent au sein même de son organisation ou de son service d’ordre, dans un contexte où bien des candidats ont renforcé la radicalité de leurs discours sur les questions migratoires. La multiplication et la banalisation des incitations à la violence sur les réseaux sociaux viennent s’y ajouter sans qu’il soit possible de faire la part de la provocation verbale et de ses effets réels sur les passages à l’acte.

Mais le facteur essentiel ne se nourrit-il pas essentiellement de l’incapacité d’une grande part des politiques à caractériser les idéologies d’extrême-droite dans leurs fondements racistes et antidémocratiques ?  Interrogé par une députée (10) sur les violences d’extrême-droite au sein des universités, Patrick Hetzel, ministre de l’Enseignement supérieur, répond que « tout est dit » dans l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en affirmant que la « libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ».  Bien sûr, il assortit son propos d’une condamnation de la violence mais que penser de son refus de traiter les idéologies de l’extrême-droite autrement qu’en affirmant leur liberté d’expression ?

Admettre, au nom d’une tolérance libérale, que l’extrême-droite serait aussi légitime que tout autre parti ; accepter comme sincères les stratégies de dédiabolisation du RN ; perdre toute raison en accusant le prétendu wokisme d’être la menace essentielle pour nos libertés, ferait oublier le lien intrinsèque et spécifique qui existe entre la violence et l’extrême-droite. La proclamation d’un « anti-universalisme de repli » (11) et ses perspectives xénophobes portent la nécessité d’une violence haineuse de rejet. Rappelons-nous Maurras à propos de Blum : « Détritus humain, à traiter comme tel […] C’est un homme à fusiller, mais dans le dos (12) ». Depuis le XIXe siècle, l’extrême-droite mêle l’injure verbale et l’attaque physique pour nourrir la violence factieuse. Et les multiples condamnations pour violence ou incitation à la haine de Jean-Marie Le Pen ou d’Éric Zemmour le rappellent.

Il est couramment différencié une violence construite par des engagements politiques identitaires où la filiation entre idées et actes semble évidente, et une violence qui serait davantage hasardeuse du fait de ses origines confuses. C’est ainsi qu’a été distingué l’acte terroriste qui a couté la vie à Hichem Miraoui et le crime dont a été victime d’Aboubakar Cissé.  Sans doute est-il parfois difficile à la logique judiciaire d’établir des preuves de causalité entre les discours et les actes qu’ils peuvent influencer. Mais il est une autre logique qui, sans renoncer à la rigueur du raisonnement, doit montrer les relations « entre des contraintes sociales structurelles, d’une part, et des itinéraires individuels et des dynamiques spécifiques de situation, d’autre part (13) ».

Voilà de quoi seront de plus en plus souvent nourries les violences de l’extrême-droite, de ce mélange confus de désespoir et de haine. Et c’est justement parce que la violence de l’extrême-droite se joue de cette confusion, qu’elle doit être considérée dans sa singularité inacceptable, odieuse et révoltante.


(1) La montée préoccupante de la violence d’extrême droite en France, Courrier International, 7 juin 2025
(2) Isabelle SOMMIER (dir.), Violences politiques en France de 1986 à nos jours, 2021.
(3) Sébastien BOURDON, Drapeau noir, jeunesses blanches, 2025, p.18-23
(4) Nicolas LEBOURG, Espaces et violences de l’extrême droite radicale dans Fanny BUGNON, Isabelle LACROIX, Les territoires de la violence politique en France (1962-2012), 2017, pp. 41-68
(5) Libération, 7 février 2025
(6) C-REX, Terrorisme et violence d’extrême droite en Europe occidentale, 1990-2022, 2023
(7) Nicolas LEBOURG dans Le Monde, 27 mai 2021
(8) Anders RAVIK JUPSKAS dans Le Monde, 22 avril 2024
(9) Voir les cartographies publiées par rapportsdeforce.fr
(10) Réponse à la question orale n°0131S, Journal officiel du Sénat, 04 décembre 2024
(11) Nonna MEYER, Introduction dans Daniel BOY, Nonna MEYER, L’électeur a ses raisons, 1997, p.18
(12) L’Action française, 9 avril 1935
(13) Haoues SENIGUER, Philippe CORCUFF, Crimes racistes et islamophobes, lutte contre « le frérisme » et culture du soupçon anti-musulmans, The Conversation, 3 juin 2025

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