Par Rachel Silvera Maîtresse de conférences à l’université Paris-Nanterre
La nouvelle réforme des retraites présentée mardi risque d’aggraver les inégalités femmes-hommes. N’oublions pas que lors du précédent quinquennat, le projet de réforme de 2019 avait été annoncé comme donnant les « femmes grandes gagnantes » ! Une mobilisation de féministes et syndicalistes avait démontré qu’il n’en serait rien.
C’est d’ailleurs à cette occasion qu’Attac avait lancé les Rosies, un cortège féministe qui a animé la plupart des manifestations de l’hiver 2019-2020… On peut considérer que cette mobilisation, en plus du Covid, a largement contribué à repousser cette réforme… jusqu’à aujourd’hui.
La leçon de cette mobilisation n’a visiblement pas été tirée, puisque les femmes ne seront toujours pas gagnantes avec cette version 2022, même si le gouvernement a communiqué en rappelant que cette réforme était nécessaire parce que le système sera déficitaire mais aussi, à nouveau, « parce qu’il est injuste ». Or, concrètement, ce projet ne prévoit aucune mesure contre les inégalités de pension de retraite entre les femmes et les hommes, qui restent très importantes. Bien au contraire, cette réforme, comme les précédentes, va accroître les inégalités sociales en général et également les inégalités de genre.
La retraite, un miroir grossissant des inégalités
Selon la Drees, en 2020, la pension de droit direct (y compris la majoration pour trois enfants) des femmes est de 1 154 euros et de 1 931 euros pour les hommes, soit un écart de 40 %. Avec les pensions de réversion qui bénéficient à une majorité de femmes et qui sont régulièrement menacées, l’écart se ramène à 28 %.
En cause d’abord, les inégalités salariales mesurées au rabais la plupart du temps, mais en réalité, tout confondu, de 28,5 %, selon les dernières données disponibles de l’Insee. Et l’on sait à quel point les entreprises et les gouvernements successifs prétendent agir contre ce phénomène sans prendre aucune mesure réelle.
Ces inégalités s’expliquent par le cumul de plusieurs facteurs : les femmes n’occupent pas les mêmes métiers que les hommes. Une sorte de boîte enferme la plupart des femmes avec le plafond de verre, les parois de verre et le plancher collant ; elles sont bien plus souvent à temps partiel ; elles bénéficient de moins de primes et leurs déroulements de carrière sont moins avantageux.
En plus des inégalités salariales, les contraintes familiales continuent à jouer en défaveur des femmes : n’oublions pas qu’encore aujourd’hui une femme sur deux réduit ou arrête complètement son activité professionnelle à l’arrivée d’un enfant. C’est le cas d’un homme sur neuf ! Elles ont du coup des carrières beaucoup plus hachées, avec des temps d’interruption et/ou des temps partiels.
Pénalisation des moins qualifié·es
Reculer l’âge de départ à la retraite pénalisera tout particulièrement les personnes qui ont eu des carrières heurtées, plus courtes du fait des contraintes familiales. Et dans une grande majorité, il s’agit de femmes. Non seulement 40 % des femmes (32 % des hommes) partent actuellement avec une carrière incomplète, mais en plus, en moyenne, elles partent plus tard à la retraite que les hommes : 19 % des femmes et 10 % des hommes ont attendu 67 ans pour échapper à la décote1.
A propos de la décote, Elisabeth Borne a osé déclarer, à maintes reprises, que cette nouvelle réforme est « juste pour les femmes car l’âge d’annulation de la décote restera à 67 ans » ! En quoi est-ce un progrès, alors que cette décote restera en vigueur et pénalise davantage les femmes ? Certes, la durée de carrière des femmes s’allonge progressivement, mais elle reste inférieure à celle des hommes (deux ans d’écart pour la génération 1950).
Reculer l’âge de la retraite pénalisera beaucoup plus les catégories les plus modestes, rentrées tôt sur le marché du travail, puisqu’ils et elles devront attendre 64 ans, même si leur durée de cotisations est suffisante. Qui plus est, leur espérance de vie en bonne santé est plus faible, que ce soient les ouvrier·es par rapport aux cadres, mais aussi certaines catégories de femmes salariées, notamment celles qui travaillent dans la santé : l’espérance de vie d’une infirmière est de sept ans inférieure à celle de la moyenne des femmes ; 20 % des infirmières et 30 % des aides-soignantes partent à la retraite en incapacité. D’ailleurs, pour mémoire, les infirmières de la fonction publique ont perdu depuis la réforme de 2010 « la catégorie active », c’est-à-dire la reconnaissance de leur pénibilité par des départs anticipés à la retraite. Désormais elles partiront à 64 ans si elles ont une carrière complète !
Enfin, comme le souligne Christiane Marty du mouvement Attac, ce recul de l’âge de la retraite sera particulièrement difficile pour les senior·es précaires, sans emploi, une majorité de femmes, qui attendent l’âge de départ à la retraite, au chômage ou en inactivité : parmi les retraité·es né·es en 1950, un tiers n’était plus en emploi l’année précédant leur retraite, c’est le cas de 37 % des femmes et 28 % des hommes. Les mesures pour maintenir les senior·es en emploi sont à cet égard non contraignantes et ces précaires ne feront qu’augmenter avec la réforme.
L’amélioration insuffisante du minimum de pension
Pour compenser cela, le gouvernement annonce une revalorisation des petites pensions, qui concernent une majorité de femmes : rappelons que parmi la génération 1950, la moitié des femmes et un tiers des hommes perçoivent le minimum de pension et que 37 % des femmes retraitées et 15 % des hommes touchent même moins de 1 000 euros brut de pension (909 euros net).
Le gouvernement annonce vouloir revaloriser le minimum de pension à 1 200 euros brut. Mais ceci figurait déjà dans la loi de 2003 qui le fixait à 85 % du Smic et qui n’a jamais été appliqué. Qui plus est, ce minimum sera appliqué seulement pour les carrières complètes. Or, les personnes aux faibles retraites, bon nombre des femmes, ont en général des carrières incomplètes et toucheront ce minimum au prorata de leur durée de cotisation.
Pénibilité : quelle place pour les emplois féminisés ?
Il est question, comme à chaque réforme, de mieux prendre en compte la pénibilité pour permettre aux personnes « cassées par le travail » de partir plus tôt. C’est pourtant l’inverse qui s’est produit jusqu’à présent, car le compte professionnel de prévention (C2P) de 2017 est beaucoup plus restrictif qu’auparavant : moins de critères de pénibilité sont pris en compte (par exemple les postures pénibles ou le port de charges lourdes n’y figurent plus) et l’exposition à ces risques doit être très élevée pour permettre de valider des trimestres à la retraite.
Les mesures proposées par le gouvernement mardi rétablissent certains critères mais ne couvrent pas la réalité des emplois féminisés dont la pénibilité, liée aux contraintes physiques mais aussi « émotionnelles », n’est pas ou peu reconnue, notamment dans le secteur du soin et du lien aux autres. On estime que seulement 3 % des salarié·es en auraient bénéficié dont 75 % d’hommes.
Cette réforme va renforcer les inégalités entre les femmes et les hommes, car elle ne prend pas en compte la situation des salarié·es les plus défavorisé·es, notamment les femmes. Reculer l’âge légal de la retraite et accélérer l’allongement de la durée de cotisation renforceront les inégalités et risquent d’accroître les situations de pauvreté des retraité·es. D’autant que rien ou presque n’est entrepris pour lutter vraiment contre les inégalités de genre sur le marché du travail et dans la vie.
ALTERNATIVES ECONOMIQUES LE 12/01/2023