Condorcet affirmait en 1793 qu’il fallait protéger l’instruction publique des volontés particulières qu’un pouvoir pourrait vouloir exercer aux fins de ses intérêts particuliers. Les discours des ministres Genetet et Portier, au sujet de l’éducation sexuelle, témoignent que notre démocratie n’a pas encore réussi à nous garantir de ces dérives.
L’intérêt général serait de développer une prévention des violences sexistes et sexuelles par l’éducation, de construire des rapports nouveaux entre les hommes et les femmes grâce à une prise de conscience des dominations. Une part importante de notre population, et pour l’essentiel, des femmes et des enfants, est victime de ces violences et de ces dominations dont les conséquences sur la santé, la vie personnelle et la vie sociale sont gravissimes. Si une plus grande prise de conscience a quelque peu réduit le silence, nous sommes très loin d’avoir vaincu une culture qui banalise voire légitime ces actes de violence.
La responsabilité de l’école est immense et seule une volonté politique déterminée pourrait infléchir les actes des générations à venir en leur faisant prendre conscience de la réalité des dominations et en leur permettant la construction de valeurs égalitaires capables de porter des choix intransigeants de respect de l’autre. Apprendre le consentement, non pas comme une consigne comportementale, mais comme un choix construit par les savoirs et la raison parce que, grâce à l’école, on a compris ce que sont conséquences réelles des dominations et des violences.
Face à ces impératifs, sous l’apparence de querelles médiatiques, nos ministres participent à une véritable guerre idéologique destinées à servir leurs intérêts partisans particuliers en flirtant avec les pires tentations populistes : comment servir à la fois les demandes des plus réactionnaires et celles de ceux qui le sont moins ? Le tout mâtiné de rivalités entre ces deux ministres (macronienne versus républicain !), de rétropédalages confus et d’un jeu des plus ambigus avec les mensonges des associations les plus réactionnaires.
Un récent dossier du Journal du Dimanche[1] alertait sur les dangers que les nouveaux programmes scolaires feraient courir aux élèves. Comme à l’habitude, les stratégies les plus fourbes tentent d’affoler les lecteurs : on proclame les risques des futurs programmes en se référant à des contenus qui n’ont rien à voir avec ces programmes ; on cite des témoignages dont certains ont déjà été contredits par des enquêtes ; on déforme par l’exagération et l’outrance … Et comme les volontés idéologiques de ces media ne reculent devant rien, le discours cherche à faire croire que le milieu dangereux c’est l’école, inversant la réalité des faits qui témoigne d’une bien plus grande dangerosité des environnements conjugaux et familiaux !
On aurait pu s’attendre à une levée de bouclier ministérielle, capable de défendre les intentions des programmes… mais on assiste à un pas de deux où le discours ministériel va chercher une tierce argumentation, celle du « wokisme » et de la « théorie du genre » qui révèle à nouveau que la possibilité de les instrumentaliser masque leur vacuité théorique… puis revient à des considérations rassurantes sur le bien-fondé des programmes.
Nous savons que l’enjeu reste le même : celui de l’engagement d’une politique déterminée de lutte éducative contre les violences sexistes et sexuelles, celui qui voudrait qu’on annonce, sans atermoiements et sans concessions populistes, une volonté d’en finir avec les dominations de genre et que, pour cela, on ne cède pas à la mainmise de l’idéologie réactionnaire sur les programmes, mainmise tissée au fil de l’hypocrisie, du mensonge et de l’exagération.
L’école aurait pourtant un rôle essentiel à jouer pour que « la honte change de camp » !
[1] JDD, 24 novembre 2024, Éducation sexuelle à l’école. Les enfants en danger