« En raison de son manque de maturité physique et intellectuelle, l’enfant a besoin d’une protection spéciale et de soins spéciaux, notamment d’une protection juridique appropriée ». En 1959, la Déclaration des Droits de l’Enfant avait affirmé la nécessité d’une protection de l’enfance. En 1989, ce principe se traduisait par un engagement des États signataires à considérer l’intérêt supérieur de l’enfant comme une exigence primordiale dans toute décision le concernant.

Depuis plus de dix ans des rapports officiels [1] ont dressé un bilan inquiétant de la politique française de protection de l’enfance. Les témoignages d’acteurs ne manquent pas qui constatent que faute de moyens, nombre de mesures de protection ne sont pas effectives. Une récente enquête de Médiapart vient confirmer cette inquiétante dégradation [2].

Le manque de personnels dans les tribunaux comme dans les structures d’accueil entraîne une forte inégalité territoriale et dans les départements les plus fortement en crise, il n’y a désormais plus de possibilité réelle de protéger des enfants qui sont pourtant objet de violences, de maltraitances ou de défaillances éducatives majeures. Dans plusieurs départements, les mesures de protection décidées par les juges ne sont pas exécutées.

Nous en sommes réduits à constater qu’en France, désormais, les principes de la Convention des droits de l’enfant ne sont plus respectés !

Le 22 novembre dernier, les professionnels de la protection de l’enfance du Pas-de-Calais ont dénoncé l’état catastrophique dans lequel le manque de moyens plongeait les services de prise en charge des enfants placés. Avant eux, ceux de la Seine-Saint-Denis avaient dénoncé les conséquences tragiques du manque de personnels et ce depuis plusieurs années [3]. La Défenseuse des Droits et le Défenseur des Enfants s’étaient saisis de la situation du Nord et de la Somme affirmant que les conditions d’accueil ne permettaient plus de « garantir l’effectivité des droits » et de « protéger suffisamment ». On pourrait multiplier les exemples d’alertes lancées par des professionnels de la protection de l’enfance ou des juges pour mineurs, dans de nombreux départements, qui se traduisent toujours par leur gravité qu’il s’agisse des conséquences de retards et de difficultés d’exécution des mesures de placement ou des conditions d’accueil. Dans certains départements, l’incapacité d’accueil conduit à loger les mineurs à l’hôtel y compris pour des jeunes « dont la complexité de la situation met en échec les structures d’accueil collectif habituelles [4] »

En août dernier, suite au décès d’un enfant, un rapport interministériel [5] concluait sa présentation en affirmant que la persistance des risques laissait craindre la réitération de décès advenant à des enfants suivis en protection de l’enfance.

Qu’il s’agisse de mineurs menacés par la violence de leurs parents, privés de soins et d’éducation, de mineurs non accompagnés livrés à la rue… les pires inquiétudes sont à craindre au vu de la dégradation continue de la situation.

Les obsessions de la réduction des coûts de masse salariale dans les services de l’État comme dans ceux des conseils départementaux, la rationalisation budgétaire des actions, l’évaluation des ratios coûts/bénéfice, le recours aux techniques managériales, la mise en concurrence des services, … la protection de l’enfance et de la jeunesse connaît les évolutions néolibérales de tous les services publics [6]. Et en conséquence, la perte de sens des actions demandées aux travailleuses et travailleurs sociaux et la souffrance au travail qui en résulte.

Pourtant les engagements ne manquent pas : Pacte de l’Enfance (2019), Plan de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants (2019), Stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance (2020-2022), …

La loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants devrait progressivement se mettre en œuvre d’ici 2024, cherchant à améliorer la vie quotidienne des enfants placés, à mieux les protéger contre les violences, à faire cesser les hébergements en hôtel et à mettre fin aux arrêts subits de prise en charge à la majorité. Mais quel sera l’enjeu réel de cette loi si les services continuent à manquer de moyens, si la crise de recrutement conduit à recourir à des personnels non formés, si les méthodes managériales persistent ?

Le candidat Macron avait annoncé, lors de la campagne électorale de 2022, que la protection de l’enfance serait un enjeu majeur. Des annonces ont été faites en matière de renforcement des contrôles d’antécédents judiciaires de violences sur mineurs, de retrait de l’autorité parentale pour les personnes coupables d’inceste, … mais rien qui annonce un investissement budgétaire à la hauteur. Et nous peinons à croire à la perspective d’une véritable évolution de la situation dans une politique qui persiste dans un entêtement de réduction budgétaire. D’autant que cette priorité à la protection de l’enfance semble se diluer désormais, dans les annonces gouvernementales, au milieu de bien d’autres questions éducatives. Quant à la création d’un Conseil des ministres des enfants, deux fois par an, elle pourrait vite apparaître comme un pitoyable leurre.

Paul Devin
président de l’IR-FSU

[1Rapport IGAS (novembre 2022), Rapport Cour des Comptes (2020, 2009), Rapport Défenseuse des Droits (2020)

[3Bondy Blog, 14/11/2018

[4L’accueil de mineurs protégés dans des structures non autorisées ou habilitées au titre de l’aide sociale à l’enfance, Rapport IGAS, novembre 2020

[5Mission de contrôle interministérielle suite au décès d’un enfant suivi en assistance éducative, rapport définitif, août 2022

[6Raymond CURIE, Le travail social à l’épreuve du néo-libéralisme, L’Harmattan, 2010