Le «monsieur éducation» du Rassemblement national a précisé, dans une interview aux «Echos», les priorités du parti en matière d’éducation, alors qu’une pétition de cadres s’engageant à désobéir en cas d’arrivée de l’extrême droite au pouvoir voit son compteur grimper.

Le Rassemblement national lève le voile sur ses propositions pour l’école. Alors que Marine Le Pen indiquait, dans une interview au Figaro la semaine dernière, que tous ses engagements pour la présidentielle de 2022 ne seraient pas nécessairement repris pour les législatives («ce n’est ni tout ni rien»), le monsieur éducation du RN a détaillé vendredi 21 juin les mesures que le parti comptait mettre en place s’il accédait au pouvoir à l’issue des législatives anticipées. Dans le même temps, une pétition de cadres de l’Education nationale s’engageant à «désobéir» si le RN arrive au pouvoir voit son compteur de signatures augmenter en continu.

Dans une interview aux Echos, Roger Chudeau, député sortant du Loir-et-Cher qui a occupé diverses fonctions au sein de l’Education nationale (professeur, proviseur, inspecteur, conseiller ministériel…), affirme que le port du voile sera interdit aux femmes accompagnant les sorties scolaires. Une mesure fantasmée par l’extrême droite depuis longtemps, qui rendrait de fait difficile l’organisation de ces activités dans certains établissements, où nombre de mères sont voilées et impliquées dans la vie de l’école.

Afin de «rétablir l’autorité», marotte de la droite et de l’extrême droite, le RN entend envoyer les élèves perturbateurs dans des centres spécialisés où ils réaliseraient toute leur scolarité, jusqu’à leurs 16 ans, «sans possibilité de retour vers un établissement normal». Objectif : les orienter «le plus tôt possible» vers le marché du travail. S’ils sont la cause d’une nouvelle perturbation dans ces structures, ils iront dans des centres éducatifs fermés «sur décision de justice», écrivent les Echos.

Le port de l’uniforme, lui, reste un but mais ne sera pas déployé avant plusieurs années. Dans toutes les salles de classe devront être affichées une carte de France et une frise chronologique retraçant «le récit national, de Clovis ou de Vercingétorix à nos jours».

Des programmes adaptés en REP+

Favorable à une orientation précoce, le Rassemblement national prévoit d’imposer un examen national en CM2, à l’issue duquel les élèves qui échoueront redoubleront ou seront envoyés en «sixième d’adaptation». «Le collège unique, c’est fini !», clame Roger Chudeau. Devant le Medef, jeudi, Jordan Bardella, assumait d’ailleurs : «Nous entendons remplacer le collège unique par un collège modulaire qui orientera plus tôt, plus vite, les élèves vers des
filières professionnelles qui sont aujourd’hui injustement dévalorisées.»

Roger Chudeau indique aux Echos que les Réseaux d’éducation prioritaire (REP) seront supprimés, seuls persistant les Réseaux d’éducation prioritaire renforcés (REP+). Les élèves de ces zones particulièrement défavorisées ne bénéficieraient plus nécessairement des mêmes enseignements que leurs camarades, puisque les établissements pourraient «adapter les programmes, augmenter les horaires des disciplines fondamentales». Les assistantes sociales, infirmières scolaires, voire orthophonistes, y seraient affectées en priorité.

Le RN prévoit enfin de supprimer le «bac Blanquer», organisé par spécialités, pour réinstaurer des séries, modernisées, à la rentrée 2025. Fini aussi le «pacte enseignant», qui consiste à confier aux professeurs des missions supplémentaires, comme le remplacement de courte durée, moyennant des primes. A la place, obligation serait faite aux enseignants de remplacer leurs collègues absents. «Nous serons sans faiblesse à ce sujet», assure
Roger Chudeau. Quant à la réforme du «choc des savoirs», qui prévoit notamment d’instaurer des groupes de niveau en français et en maths au collège, «on va l’abolir en tant que politique publique et arrêter de caporaliser les enseignants», dit-il. Pour autant, précise-t-il, l’organisation des groupes ne disparaîtrait pas vraiment puisqu’elle serait à la main des établissements et des enseignants.

«Un enseignement en opposition avec les valeurs républicaines qui fondent nos métiers»

Ces précisions ne manqueront certainement pas de conforter les cadres de l’Education nationale engagés dans un combat contre les valeurs du RN. Dans une pétition lancée le 14 juin et qui a dépassé les 800 signatures, des chefs d’établissement, inspecteurs et inspecteurs généraux écrivent : «Demain, peut-être, notre prochain ministre issu [des rangs de l’extrême droite] exigera des cadres que nous sommes d’appliquer des directives, de mettre en oeuvre des politiques ou d’organiser un enseignement en opposition avec les valeurs républicaines qui fondent nos métiers et justifient nos engagements. Nous ne l’accepterons pas. En conscience et en responsabilité, nous n’obéirons pas

La démarche est rare : les cadres, chargés d’appliquer les orientations gouvernementales, s’astreignent  habituellement à un strict devoir de réserve, quel que soit le bord politique du pouvoir en place. «Parce que nous servons l’Etat, nous déclarons dès aujourd’hui qu’aucun d’entre nous n’appliquera de mesures qui contreviendraient aux valeurs de la République, écrivent-ils encore. Nous le disons maintenant avant qu’il ne soit trop tard, avant que notre école ne soit dévoyée, instrumentalisée et serve un projet politique funeste.»