Le 12 janvier dernier, le ministre de l’Éducation nationale annonçait la suppression de l’enseignement de la technologie en classe de 6ème, un choix guidé par la nécessité d’organiser à moyens constants une heure de soutien et par la pénurie de personnels enseignants dans la discipline.
La technologie est donc considérée comme une simple variable d’ajustement.
Quelques-uns, au ministère, semblent vouloir exclure cette discipline de l’enseignement général en expliquant, avec une formule quelque peu alambiquée que « l’identité de la matière technologique n’est pas toujours bien comprise, alors même qu’elle devrait être une matière de vocation, de naissance d’une appétence ou du goût, notamment pour le numérique et l’informatique [1] ». La perspective d’une « matière de vocation ou de goût » est des plus étonnante pour une discipline inscrite dans le socle commun dans le but de favoriser , aux côtés des mathématiques et des sciences expérimentales, la rigueur intellectuelle constitutive du raisonnement scientifique. Étonnement redoublé quand les programmes affirment que la technologie vise à contribuer, avec les sciences, à asseoir la capacité de distinction entre science et croyance et à construire une représentation globale, rationnelle et cohérente du monde.
Le 26 janvier, l’ensemble des organisations syndicales siégeant au Conseil supérieur de l’éducation a demandé au ministre de revenir sur sa décision, refusant que des logiques budgétaires et de ressources humaines puissent guider cet arbitrage avant même toute considération pédagogique. Pour tenter de calmer l’affaire, le ministère annonce que cette suppression est destinée à faire plus et mieux en cinquième !
Vouloir faire de la technologie une « matière de vocation » joue sur toutes les ambiguïtés des stéréotypes qui veulent qu’elle soit la matière de prédilection des élèves considérés comme ne disposant pas de facultés intellectuelles suffisantes pour l’abstraction mais pouvant faire la preuve d’une intelligence pratique et d’une habilité manuelle favorables à la qualité des productions. Longtemps, « l’éducation manuelle et technique » fut l’activité idéale des classes qui accueillaient les élèves en difficulté scolaire, des classes pratiques au CPPN. Et la généralisation de l’enseignement technologique n’avait pas suffi au collège unique de René Haby pour rompre avec l’Education manuelle et technique (EMT).
Depuis, les finalités de l’enseignement de la technologie, malgré sa disciplinarisation, n’ont cessé de fluctuer au point de fragiliser les identités professionnelles. C’est que la technologie reste pensée pour les nécessités capitalistes de la division du travail et qu’elle doit s’adresser essentiellement à ceux qui, par destination, auront une activité manuelle. En 1945, la commission Langevin-Wallon avait eu, en vain, l’ambition de rompre avec la partition entre culture générale et culture technique, convaincue que l’égalité exigeait la reconnaissance de l’égale dignité de toutes les tâches sociales. Depuis les volontés politiques de faire cesser le clivage entre activité manuelle et intellectuelle n’ont guère été au-delà de quelques intentions discursives.
Pourtant tout devrait appeler à une évolution contraire : les besoins de la réindustrialisation du pays qui légitiment le développement de la formation technologique ; la nécessité de développer une culture citoyenne capable de mieux comprendre les enjeux environnementaux, notamment au travers de nos usages des technologies ; la lutte contre les inégalités d’accès aux matières scientifiques pour les filles qui demandent qu’on vienne contrer les présupposés dès le plus jeune âge ; les reconversions professionnelles de plus en plus fréquentes, qui dans une quête de sens du travail, renversent bien des considérations usuelles qui lient la réussite sociale et la hiérarchisation des activités.
Malgré le constat d’une insuffisance de l’enseignement scientifique et les multiples alertes exprimées, non seulement par les syndicats et les associations disciplinaires mais par de nombreux scientifiques, la politique ministérielle ne cesse de réduire les volumes d’enseignement et les moyens. Là où l’école française aurait urgemment besoin d’une vision à long terme, elle devra à nouveau se contenter des incohérences d’une gestion guidée par des volontés d’économies budgétaires ou des besoins de gestion des ressources humaines. La désastreuse réforme de l’enseignement des mathématiques menée par Blanquer n’a manifestement pas servi de leçon !
Paul Devin, président de l’Institut de recherches de la FSU
[1] Marie-Christine CORBIER, Réforme du collège : la technologie va faire les frais de la nouvelle sixième, Les Échos, 12 janvier 2023