La rectrice de l’académie de Normandie Christine Gavini a présenté le 10 octobre 2024 le nouveau projet pédagogique 2024-2027 aux personnels d’encadrement. Interrogée par AEF info, elle parle de « changement de paradigme dans la manière de faire » avec une évaluation de toutes les actions menées, une nouvelle organisation en s’appuyant d’abord sur les corps d’inspection sur l’organisation de la carte des formations, et avec la création de « pôles d’expertise » d’inspecteurs du 2nd degré. Le projet pédagogique normand est conçu selon quatre axes : la réussite des élèves dans les savoirs fondamentaux, l’ambition scolaire et l’égalité des chances, l’ajustement aux besoins éducatifs des élèves, la constitution d’un « environnement propice aux apprentissages ». Chacun de ces axes s’accompagne de « pistes concrètes » d’action.

 

AEF info : Vous avez présenté le jeudi 17 octobre votre nouveau projet pédagogique, selon quelle logique a-t-il été conçu ?

Christine Gavini : Nous présentons aujourd’hui aux personnels d’encadrement un nouveau projet pédagogique pour la période 2024 à 2027. Le précédent projet académique datait de 2019 : il avait été rédigé dans le contexte de fusion des académies de Rouen et de Caen, et avait été prolongé en raison de la Covid. Aujourd’hui, cette fusion est achevée et le contexte institutionnel a beaucoup changé. Ce nouveau projet pédagogique tient compte de cette évolution et se concentre sur les questions pédagogiques. Il est l’aboutissement d’un travail d’un an, associant tous les métiers de l’Éducation nationale.

Nous avons commencé par établir collectivement un diagnostic concernant les résultats obtenus par les élèves de notre académie. Dans l’académie de Normandie, nous faisons trois constats : les élèves rencontrent des difficultés en matière d’acquisition des savoirs fondamentaux, ils présentent une ambition scolaire plus faible qu’ailleurs, et nous progressons sur la question de l’égalité des chances. À partir de ce diagnostic, nous avons organisé plusieurs séminaires de travail avec les corps d’inspection et les bassins d’éducation, dans le premier comme dans le second degré. J’ai souhaité que le projet émane totalement du terrain, qu’il réponde directement aux attentes des personnels.

AEF info : Ce projet pédagogique, comment est-il structuré ?

Christine Gavini : Les réunions des différents métiers de l’Éducation nationale ont permis d’identifier quatre axes : viser la réussite des élèves dans les savoirs fondamentaux, promouvoir l’ambition scolaire et l’égalité des chances, s’ajuster aux besoins éducatifs de tous les élèves et créer un environnement propice aux apprentissages. Chacun de ces quatre axes est porteur d’actions, des « leviers », avec des pistes concrètes et des indicateurs liés. L’idée est bien que le projet pédagogique corresponde à un changement de paradigme dans la manière de faire, et ce pour deux raisons : les résultats ne sont pas à la hauteur en matière de réussite ainsi que d’ambitions scolaires, avec encore trop de bacheliers qui ne poursuivent pas dans l’enseignement supérieur. L’objectif que j’ai donné aux concepteurs de ce projet est de travailler sur le fond, de s’organiser pour faire en sorte que toutes nos actions soient conçues et évaluées en fonction de ces quatre axes. Il s’agit de développer une autre façon faire, et ne pas se disperser. L’Éducation nationale répond à beaucoup d’attentes de la société, il ne faut pas donner un sentiment d’éparpillement.

AEF info : Concrètement, que prévoyez-vous de changer dans la manière d’agir ?

Christine Gavini : Nous allons évaluer toutes les actions de ce projet académique à l’aune des objectifs fixés : c’est le premier changement de paradigme. Cette évaluation sera menée à partir d’indicateurs objectifs. Par exemple, la mise en place d’un club éloquence en collège doit s’accompagner d’une mesure des effets sur la réussite des élèves. Pour cela, des enseignants ont mis en évidence l’intérêt pédagogique de ce club en comparant un groupe témoin et le groupe qui a participé à ce club. Résultat, on constate une différence de 20 points au Diplôme national du brevet. Ce doit être la même chose pour des initiatives comme des ateliers sur la découverte des métiers, il nous faut déterminer quelle influence cela a sur les trajectoires des élèves.

AEF info : Les problèmes que vous pointez sur l’académie de Normandie ne sont pas nouveaux, et souvent il semble difficile d’en identifier clairement les causes…

Christine Gavini : Nous connaissons les points de bascule, il s’agit maintenant de travailler sur les actions. Dès 2019, j’avais demandé à la Depp de conduire une évaluation sur les raisons de l’écart de performance parfois constaté entre établissements et il apparaît qu’il n’y a pas de raison sociologique évidente. Ainsi, nous avons constaté l’année dernière que pour deux collèges ayant le même indicateur social le taux de réussite était de 90 % d’un côté et 68 % de l’autre. Ce n’est pas non plus une question d’enseignants plus ou moins expérimentés. Il y a certainement quelque chose au niveau de la pédagogie, dans la manière de faire réussir les élèves, mais aussi dans la capacité à insérer des actions spécifiques permettant de lever les freins. Nous évaluons déjà en partie les formations des enseignants, mais on ne le fait pas en lien avec la réussite des élèves. Nous souhaitons désormais regarder davantage les établissements où les enseignants ont été formés afin d’identifier les évolutions.

AEF info : Mieux évaluer tout en évitant de s’éparpiller, cela signifie donner des priorités à certains projets. Avez-vous l’intention de limiter le périmètre des projets pédagogiques retenus ?

Christine Gavini : Il n’est pas question de supprimer des projets, nous les laissons se dérouler, mais l’académie pourra fournir aux unités éducatives des indications sur ce qui fonctionne plus ou moins bien. Aujourd’hui, un enseignant ne connaît pas toujours les dispositifs les plus efficaces pour la réussite des élèves. Les corps d’inspection interviendront en accompagnement.

C’est aussi un nouveau paradigme en termes d’organisation ! La volonté de structurer l’académie pour viser cette réussite induit par exemple des changements sur l’organisation de la carte des formations. Habituellement, les chefs d’établissement émettent des propositions sur la base de leurs besoins ressentis mais cela n’aboutit pas forcément à une carte des formations cohérente. Un exemple : nous avons favorisé l’immersion précoce en anglais et ces élèves sont donc arrivés avec un bon niveau au collège, mais ils ont besoin de groupes spécifiques. Cela, il faut le penser en amont…

AEF info : Ce « nouveau paradigme », à quoi va-t-il ressembler ?

Christine Gavini : Il s’agit d’inverser le système : les corps d’inspection définiront tout d’abord ce qu’ils attendent de la carte de formation. Puis, ils proposeront aux établissements telle spécialité, telle section, etc. Nous voulons équilibrer les créations pour éviter les zones blanches sur la carte des formations.

AEF info : Il s’agit aussi de nouer un dialogue plus soutenu avec les établissements, pas seulement d’étudier des projets présentés, comment va se faire cet accompagnement ?

Christine Gavini : C’est le troisième changement de paradigme de ce projet pédagogique, avec la mise en place de pôles d’expertise pour les corps d’inspection du 2nd degré. Chacun des quatre axes du projet donne lieu à un pôle de 25 inspecteurs qui se réuniront par expertise. Ces pôles seront à la disposition des établissements pour répondre aux questions, soit en envoyant immédiatement les bonnes ressources soit en dépêchant sur place la bonne personne. Les pôles d’expertises sont organisés pour apporter très rapidement une réponse. Le dispositif se met en place, nous l’évaluerons en fin d’année.