Natalité : Emmanuel Macron s’en prend au corps des femmes

En faisant de l’utérus des femmes un outil au service du redressement de la France, Emmanuel Macron s’est attiré les louanges de l’extrême droite et les foudres des féministes et des progressistes.
Imaginez une société totalitaire où la natalité serait au plus bas et où certaines femmes ne seraient utilisées que pour une chose : la reproduction.
Mardi 16 janvier, alors qu’Emmanuel Macron donnait l’orientation on ne peut plus conservatrice de la suite de son quinquennat, beaucoup ont fait le rapprochement entre le roman de Margaret Atwood, « La Servante écarlate », adapté dans une série au gros succès d’audience, et le « réarmement démographique » brandi par le Président de la République face à la baisse de la natalité.
La veille, l’INSEE, comme chaque année à cette époque, publiait son bilan démographique avec ce constat : les naissances ont diminué de près de 7 %. Avec 1,68 enfant par femme, la France reste pourtant le pays le plus fécond avec la Tchéquie et la Roumanie. Pas de quoi s’alarmer ?
Si, insiste Emmanuel Macron qui l’assure : « la natalité baisse parce que l’infertilité progresse (…). Les mœurs changent, on fait des enfants de plus en plus tard, l’infertilité masculine comme féminine a beaucoup progressé ces dernières années et fait souffrir beaucoup de couples ». Alors voilà : « un grand plan de lutte contre ce fléau sera engagé pour permettre justement ce réarmement démographique ».
Le congé pis-aller
Bigre ! Le gouvernement va-t-il s’attaquer aux pesticides et aux insecticides, en partie responsables de l’infertilité ? Va-t-il combattre la précarité, le chômage, qui découragent beaucoup de jeunes à concevoir l’arrivée d’un enfant ? Va-t-il rouvrir les maternités de proximité, les crèches publiques, qu’il s’est consciencieusement évertué à fermer, lui et les gouvernements successifs ?
Va-t-il porter des mesures efficaces contre les inégalités salariales entre les hommes et les femmes ?
Va-t-il enfin s’apercevoir que l’immigration représente un facteur clé de l’avenir du pays, et revenir sur sa loi ?
Va-t-il donner espoir en des jours meilleurs ? Rien de tout cela, non.
Emmanuel Macron s’est contenté d’évoquer la création d’un « congé de naissance » pour remplacer le congé parental actuel et qui durerait six mois pour chaque parent. Il a aussi promis un « grand plan de lutte » contre ce qu’il appelle le « fléau » de l’infertilité, tout en se gardant bien d’en préciser les contours. Mais qui dit que traiter l’infertilité ira de pair avec un l’impact démographique ? Ne serait-ce pas avant tout une question de santé environnementale ?
Raboter le congé parental – six mois au lieu de trois ans – sous prétexte qu’il éloignait les femmes du marché du travail, multiplier les injonctions natalistes… La belle affaire !
Voilà qui aura du mal à convaincre ceux qui doutent encore de faire des enfants. Alors que l’extrême droite applaudit des deux mains et salue « de bonnes mesures » tout en réclamant au passage un ministère de la Famille, nombre de voix, féministes et à gauche, s’élèvent contre une dérive droitière et patriarcale.
« Laissez notre utérus en paix », a tweeté Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes. « Les politiques natalistes se retournent toujours contre les femmes », a rappelé l’historienne Mathilde Larrere. De son côté, Manon Aubry, présidente du groupe de la Gauche au Parlement européen, a appelé Emmanuel Macron à « épargner au moins le corps des femmes de son discours martial du réarmement ».
Une obsession réactionnaire
La sénatrice PS et ex-ministre des Familles Laurence Rossignol le souligne : « L’obsession nataliste est une thématique des droits réactionnaires ». Elle note au passage que « tous les ans, la Hongrie accueille une conférence sur la natalité qui rassemble toute l’extrême droite européenne ». La sénatrice écologiste Mélanie Vogel, quant à elle, ne peut s’empêcher de faire le lien avec le tristement célèbre « travail, famille, patrie » du maréchal Pétain.
D’ailleurs, Emmanuel Macron l’a bien dit : « La France doit rester la France ». En d’autres termes, le Président rêve d’une France qui fait des enfants sages et qui se protège de l’immigration. Une note publiée le 28 août par l’Institut Montaigne – pourtant pas à classer dans le camp des progressistes – estime que l’immigration « représente une composante de plus en plus importante de la croissance de la population française ».
Alors pour ne pas s’appuyer sur l’immigration pour augmenter le nombre des actifs dans les années à venir, il suffit, dixit le Président, d’enclencher une politique nataliste et de lutte contre l’infertilité. La sociologue Charlotte Debest l’expliquait dans les colonnes de l’Humanité Magazine en novembre : « Derrière la baisse de la natalité se glisse toujours la question de l’immigration et des thèses nauséabondes comme celle du grand remplacement, cette peur de se faire envahir par d’autres ».
Chez les autres, mais pas chez moi
C’est ce même Emmanuel Macron qui incite aujourd’hui les femmes françaises à faire des bébés qui, interrogé sur l’Afrique, avait déclaré en juillet 2017 lors du sommet du G20 à Hambourg : « Quand les pays ont encore aujourd’hui sept à huit enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien ».
Autrement dit, les femmes africaines, qui ne maîtrisent pas leur sexualité, sont à l’origine de la surpopulation et du sous-développement.
Et les femmes françaises, qui, par souci d’indépendance, ne font plus assez d’enfants sont responsables de la baisse de la démographie.
« Le nombre des jeunes décroît, celui des vieux augmente. La France se dépeuple, s’affaiblit, perd sa place dans le monde : voilà l’œuvre de la dénatalité ». Extrait de la revue de l’Alliance nationale contre la dépopulation, sous la direction du démographe Jacques Bertillon, propagandiste nataliste, à la veille de la seconde guerre mondiale. Glaçant.
L’humanité 18.01.24