Catéchèse obligatoire, éducation défaillante à la sexualité, homophobie, non-mixité, pompe à finances publiques : les stupéfiantes révélations du rapport d’inspection de l’école Stanislas, dévoilé mardi soir par Mediapart, sont de nature à justifier la demande de résiliation du contrat d’association avec l’État.
Comme tous les établissements privés sous contrat, Stanislas voit l’État prendre en charge la totalité de la rémunération du personnel enseignant, soit 73 % du financement de ces établissements, en moyenne.
Qui Amélie Oudéa-Castéra essaie-t-elle de protéger ?
La nouvelle ministre de l’Éducation nationale a, elle-même, allumé la mèche de l’incendie en justifiant par un mensonge – de prétendues « paquets d’heures » d’absences non remplacées dans l’école publique où l’un de ses fils a passé six mois – l’inscription de sa progéniture au sein de l’école privée Stanislas. Une ministre qui, à peine nommée, donne le coup de pied de l’âne à l’institution qui lui est confiée, « oubliant » ce que savent tous ceux qui y travaillent ou lui confient leurs enfants : l’école publique a été affaiblie, avant tout, par les politiques menées par ses prédécesseurs.
Depuis, la ministre échoue à empêcher que « l’affaire AOC », au fil des révélations, ne se transforme peu à peu en « scandale Stanislas », le feu menaçant sérieusement de s’étendre au fonctionnement et au financement des établissements privés sous contrat dans leur ensemble. Dernière étape en date : la publication mardi soir par Mediapart, qui avait déjà sorti plusieurs articles sur Stanislas, du rapport de l’inspection générale de l’Éducation nationale, demandé en mai 2023 par le ministre de l’époque, Pap Ndiaye.
Lui succédant rue de Grenelle, Gabriel Attal avait toujours refusé de répondre aux demandes de publication de ce rapport, émanant notamment des élus régionaux de la Gauche communiste, écologiste et citoyenne (GCEC) en Île-de-France.
L’homosexualité présentée comme un péché
Ce rapport est modeste par son volume : 30 pages. Mais il constitue un sacré pavé dans la mare de Stanislas, cette « ville dans la ville » de trois hectares, au cœur du très huppé VIe arrondissement de la capitale – sans compter les sept gymnases, deux murs d’escalade et deux piscines où les élèves, de la maternelle à la classe prépa, peuvent s’ébattre… Derrière ces murs, le premier scandale que confirme le rapport est d’ordre pédagogique : à Stanislas, régulièrement présenté comme le « meilleur lycée de France », on s’assied allègrement sur les programmes, et même sur certaines obligations légales.
Obligatoire depuis 1976, la mixité ? À « Stan », niveau collège, on dénombre seulement deux classes mixtes, pour cinq réservées aux garçons et trois aux filles. « L’organisation spatiale de l’établissement n’est pas neutre », relève en outre la mission d’inspection : les classes mixtes et de filles sont reléguées dans un bâtiment annexe.
Autre manquement grave : « Les familles qui souhaitent inscrire leur enfant à Stanislas n’ont pas le choix, écrivent les inspecteurs, l’assistance aux cours religieux est obligatoire. » Pourtant, la loi est claire : ces cours doivent être facultatifs. Quant à leur contenu, il laisse visiblement place à de graves dérives : dénonciation de l’IVG, refus de la contraception, présentation de l’homosexualité comme un péché, promotion des « thérapies de conversion »…
Ces illégalités manifestes poussent les auteurs du rapport à s’interroger « sur les conditions du respect de la liberté de conscience », intangible principe républicain. Et au-delà, sur les dévoiements observés dans le domaine de l’éducation à la sexualité : des « cours d’éducation affective » non mixtes à la place de ceux prévus au programme, ou des silences (sur les infections sexuellement transmissibles, la contraception…) « susceptibles (…) de porter atteinte à la santé des élèves ».
Ces lourds manquements pédagogiques et légaux suffiraient déjà à caractériser une activité de séparatisme scolaire. Mais le volet financier est tout aussi gratiné. Comme tous les établissements privés sous contrat, Stanislas voit l’État prendre en charge la totalité de la rémunération du personnel enseignant, soit 73 % du financement de ces établissements, en moyenne.
Des financements qui n’ont rien de « fantaisistes » ?
À cela s’ajoute un forfait par élève pour les salaires des autres personnels : entre 446 et 487 euros d’après Libération, qui a épluché les comptes de Stanislas et rappelle que, multiplié par les quelque 3 600 élèves qui se pressent sur les bancs de l’institution, cela aboutit à des sommes forcément coquettes. D’autant qu’il faut encore y ajouter le « forfait d’externat » versé par les collectivités territoriales (1,3 million d’euros en 2022-2023 pour la seule région)…
N’en jetez plus, il en reste ! Car depuis l’arrivée de la droite et de Valérie Pécresse (LR) à la tête de la région, le privé sous contrat bénéficie de ce que Céline Malaisé, présidente du groupe GCEC au Conseil régional, appelle un « financement discrétionnaire », supralégal : 6 millions en 2023.
Dont 487 000 euros pour Stanislas (et 940 000 euros pour le lycée Sainte-Geneviève de Versailles, dont une ancienne élève se nomme… Valérie Pécresse), censés financer 50 % des investissements de rénovation et de sécurisation.
Soit, pour « Stan », deux ascenseurs, une salle d’étude et un bâtiment d’internat. Ce que Céline Malaisé classe malicieusement au titre de « subventions à l’amélioration du patrimoine privé »… Rien de fantaisiste à cela puisque, toujours selon Libération, Stanislas n’a pas un statut associatif mais de société anonyme, qui lui aurait permis en 2022 de dégager un excédent brut d’exploitation de 3 millions d’euros. Avec de l’argent public…
Un séparatisme social et scolaire
Céline Malaisé demande donc la fin des financements supralégaux, au minimum, et « la suspension du forfait d’externat » tant que la situation de l’établissement ne s’est pas clarifiée. De leur côté, les sénateurs Ian Brossat et Pierre Ouzoulias ont demandé à la ministre « de mettre fin au conventionnement dont bénéficie » Stanislas. Il n’y a pas « deux poids deux mesures, explique le second : ce qui a été fait pour Averroès (lycée confessionnel musulman de Lille, dont le préfet de région a résilié en décembre le contrat d’association avec l’État pour des problèmes de financement, de gouvernance et de contenus des cours – NDLR) doit être fait pour Stanislas ».
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Auteur d’une proposition de loi pour moduler les financements publics au privé en fonction de leur mixité sociale, l’élu des Hauts-de-Seine juge que « plus personne ne comprend pourquoi on donne autant à des structures privées qui n’en ont manifestement pas besoin ».
Et qui, fortes du soutien du puissant réseau de leurs anciens élèves, organisent impunément un séparatisme social et scolaire que les mensonges d’Amélie Oudéa-Castéra ont, bien involontairement, mis en pleine lumière.
L’Humanité 18.01.24